Guy Debord, clairvoyant:
Un exposé de la société du spectacle au 21ème siècle
Amina Malak Otto University of Colorado Boulder
Abstract :
In 1967 the leader of the French Situationist International movement, Guy Debord, published his book The Society of the Spectacle, a collection of 221 theses that elucidates and critiques the “spectacle,” which can be understood as a collection of inaccurate representations or images that distract from “real life.” The spectacle, in his terms, is a convoluted entity that was a product of modern capitalism and sought to prevent revolution and control the individual by estranging him from history and impeding him from leading an authentic life. This thesis examines the claims of Guy Debord in the context of our contemporary society, a world where the Internet, coupled with portable technologies, enables rapid distribution of media, facilitates consumerism, encourages narcissism, and generally inserts the spectacle more directly into daily life. The Internet has irrevocably altered our culture and society in ways that augment and empower the spectacle, possibly to the detriment of humanity.
Il est impossible de nier que notre monde a effectué une transformation immense depuis les dernières décennies, et continue à changer plus rapidement que jamais. Les avancées modernes de technologie ont redéfini ce qui est possible et ce qui est normal. Dans les domaines de la science, de la médecine, de la mécanique, du transport, des ordinateurs, ainsi de suite, la technologie a poussé les frontières en dehors de ce que nous aurions pensé possible il y a cinquante ans. Un élément essentiel dans ces changements est Internet. Aujourd’hui, nous pouvons communiquer avec un ami à l’autre bout du monde instantanément, rechercher les sujets les plus obscurs sur nos portables, recevoir des informations mondiales en temps réel et nous pouvons nous partager nous-mêmes avec le monde entier. Depuis l’arrivée d’Internet, notre monde a rétréci et nos vies sont devenues très différentes. Maintenant, nous communiquons ensemble plus souvent à l’aide de portables et d’ordinateurs au lieu de le faire en vis-à-vis. Nous avons le pouvoir de partager les moindres détails de nos vies avec un public d’étrangers et de créer un personnage qui existe seulement derrière les écrans. Internet a renforcé dans la société occidentale ce que Guy Debord appelle « le spectacle ». Le spectacle est une idée complexe posée par Guy Debord, un membre célébré du groupe Situationniste International, dans son livre La Société du spectacle, publié en 1967. Dans cette thèse, je propose que les images et les perceptions de nos vies soient devenues plus importantes que la vérité, autrement dit, que notre société est devenue plus spectaculaire que jamais avec l’arrivée d’Internet et de la technologie portable. Pour atteindre cet objectif, j’emploie non seulement les idées manifestées dans le livre La Société du spectacle, mais aussi la littérature qui se concerne avec le spectacle et les avances de la technologie. Je consulte aussi plusieurs articles plus récents qui examinent les effets des technologies modernes, des réseaux sociaux, et des moyens modernes de la distribution de média sur la condition humaine.
Guy Debord était le fondateur principal d’International Situationniste (IS), un journal dirigé par un groupe du même titre qui était inspiré par l’avant-garde, le Dadaïsme, et la philosophie anticapitaliste de Karl Marx. Les membres étaient pour la plupart des artistes, des penseurs, et des activistes qui se sont mis contre le capitalisme et le monde commercial. Le groupe a duré de 1957 à 1972 et il a joué un rôle important dans les querelles de 1968 à Paris (McDonough, 47). Les activistes impliqués dans les émeutes ont pris les idées d’IS et les ont mises dans leur slogans et graffitis. Les Situationnistes s'intéressaient aux conditions du post- colonialisme et à l’agitation sociale à travers leurs vues de l’anticapitalisme et de l’avant-garde. Au milieu de cet environnement de trouble et d’idéologie non traditionnelle, un an avant les évènements de mai 1968, Debord écrit La Société du spectacle, une collection de 221 thèses sur la société moderne et comment elle soutient l’existence du spectacle. Son espérance, et celle de tous Situationnistes, était de rendre le « prolétariat » conscient du spectacle afin de lutter contre lui.
Définir le spectacle est une tâche quasiment impossible, particulièrement maintenant qu’il est plus omniprésent que jamais. Pour que l’on puisse vraiment comprendre comment il existe maintenant, il faut examiner deux aspects différents du spectacle : ce qu’il est et ce qu’il fait. Pour définir le premier, on peut prendre plusieurs thèses de Debord où il dit explicitement ce que le spectacle est ou n’est pas, et les comparer aux circonstances modernes. La première thèse dans La Société du spectacle est « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation » (Debord, 15). Debord commence avec l’accusation des « conditions modernes de production » et de la représentation fausse de la vie réelle. Il veut dire que le cycle de la production en masse des marchandises, et à son tour de la consommation, est essentiel pour le spectacle. La représentation de la vie est la manifestation la plus évidente du spectacle, car les interactions entre tous dépendent beaucoup des représentations, mais selon Debord ces représentations tuent l’expérience vraie de la vie. Cela n’est que le début de son explication du spectacle, et si l’on applique cette idée à l’examen de la vie moderne, on trouve que les représentations de la vie et du cycle de production/consommation soutiennent le spectacle même aujourd’hui. Les sites de réseaux sociaux ne sont que des plateformes pour la représentation de la vie éloignée de la vie réelle.
Dans la quatrième thèse, Debord dit « Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images » (Debord, 16). C’est aussi évident quand on pense encore aux réseaux sociaux qui existent pour faciliter la communication avec les images, ou le phénomène de « mèmesi. » Vu que les téléphones portables sont équipés d’un clavier de petites caricatures pour envoyer des émotions dans des SMS, connus sous le nom d’« emojis », même la communication de sentiments est médiatisée et représentée par des images réductives. Si l’on considère le spectacle comme cela, c’est-à-dire comme une communication interpersonnelle médiatisée par des images, il est plus facile de voir comment les avances de la technologie informatique ont encouragé la croissance du spectacle.
Prenant en considération ces avances et la vitesse avec laquelle la société avance toujours, on peut modifier un peu notre compréhension du spectacle pour accueillir tous les changements depuis 1967. Heureusement, vingt et un ans après la sortie de La Société du spectacle, Debord écrit un deuxième livre, Commentaires sur la société du spectacle, disant « le malheur des temps m’obligera donc à écrire, encore une fois, d’une façon nouvelle » (14). Le malheur dont il parle est la continuation et le renforcement du spectacle, plus fort en 1988 qu’en 1967. Il a été témoin de la croissance du spectacle malgré ses critiques et se vit contraint d’écrire de nouveau en voyant le spectacle croître en puissance. Debord dit aussi dans Commentaires que le spectacle a évolué durant ces vingt ans en devenant plus insidieux. En 1967, Debord décrit deux thèmes du spectacle : le spectacle concentré et le spectacle diffus. Le premier se trouve dans les sociétés totalitaires où le travail est un moyen de contrôle, et le deuxième réside dans les sociétés de la «démocratie bourgeoise » où les salaires sont dépensés sur « une grande variété de marchandises nouvelles » (McDonogh, 44 ; Debord, Commentaires, 21). Debord parle aussi d’une troisième forme la plus récente : le résultat d’une « combinaison raisonnée des deux [formes] précédentes» (Debord, Commentaires, 21). Debord l’appelle le spectaculaire intégré. Quand Debord écrit ces mots sur le spectaculaire intégré, il n’aurait pas pu imaginer que leur vérité aurait duré et augmenté jusqu’au niveau actuel. Une version très sophistiquée du spectaculaire intégré est la forme que l’on voit maintenant. Le spectacle intégré est omniprésent comme le spectacle diffus mais beaucoup plus puissant comme le spectacle concentré, et sa manifestation est facilitée par l’avance de la technologie portable et par l’ubiquité de la publicité. Debord accuse cinq aspects de la société moderne d’avoir créer le spectaculaire intégré : « le renouvellement technologique incessant ; la fusion économico-étatique ; le secret généralisé ; le faux sans réplique ; un présent perpétuel » (Debord, Commentaires, 25). Tous ces traits sont évidents aujourd'hui, et cette thèse se focalise particulièrement sur le premier et le dernier trait. En fait, la nouvelle technologie a pris le spectaculaire intégré encore un pas plus loin : cette époque est celle du spectacle interactifii, un terme inventé à la fin de 20ème siècle (Best et Kellner, 1999). Les deux livres de Debord sont très importants pour comprendre le spectacle avec lequel on se concerne ; ses déclarations dans La Société du spectacle sont essentielles pour saisir le spectacle comme entité, et Commentaires modifie le spectacle pour voir les changements dans l’époque plus avancée.
Mais le spectacle d’aujourd’hui, c’est le spectacle interactif, et il se trouve dans chaque « selfie,» « like, » « share, » « pop-up, » « statut, » ou diatribe politique et tout ce que représente la vie dans les images. L’évolution du spectacle de «concentré » ou « diffus » au spectaculaire intégré et puis maintenant au spectacle interactif est une attestation à la vitesse des avancées et la réalisation du pire cauchemar de Situationnistes. L’ubiquité du spectacle mélangé à son penchant pour l’évolution rend difficile à définir ce qu’il est mais ce qu’il fait est plus évident. En bref, le spectacle est au fond un instrument pour retenir l’attention des masses, pour maintenir le pouvoir de l’échelon élite, et pour empêcher la révolution. Il sépare les individus les uns des autres en créant un monde plein de distractions, alimenté par le désir pour un idéal qui n’existe pas, et par la consommation des marchandises qui promettent cet idéal. Cette séparation et cette aliénation pénètrent plusieurs aspects du spectacle : la séparation entre travailleur et produit, entre image et réalité, entre personne et soi-même, sont tous des exemples de la présence du spectacle. Le spectacle est aussi capable de rejoindre certains mondes qui devraient être séparés, comme le monde réel et le monde numérique ou virtuel. Le spectacle assure la complaisance des masses avec des promesses d’une vie meilleure que celle que l’on mène maintenant. Un individu croit aux mensonges du spectacle en pensant «si j’achète cette chose, je me rapprocherais d’une vie merveilleuse. Si je me comporte comme cette vedette, je pourrais devenir plus important. » Le pouvoir du spectacle dépend de la transformation de la vie en marchandise, pour ainsi dire, « Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l’occupation totale de la vie sociale » (Debord, 39). La marchandise doit occuper tous aspects de la vie du consommateur, et avec Internet ceci est plus possible que jamais. Les consommateurs peuvent acheter n’importe quoi sans quitter leur fauteuil s’ils ont un ordinateur ou un portable (Best et Kellner, 136). Le spectacle rend la semblance et la représentation plus importantes que la chose elle-même. « Considéré selon ses propres termes, le spectacle est l’affirmation de l’apparence et l’affirmation de toute vie humaine, c’est-à-dire sociale » (Debord, Société, 10). Les réseaux sociaux et l’arrivée des appareils portables (des petits ordinateurs et des portables « smart ») ont effectué cette « affirmation » de l’apparence et de la vie de notre époque. Il est possible de partager chaque moment de la vie et de chercher l’affirmation de ses semblables. Il est possible de suivre la vie d’une vedette tout en pensant que tout ce qui est présenté est vrai. Maintenant que l’on a un petit ordinateur dans la poche n’importe où que l’on aille, le spectacle nous suit toujours. On ne peut jamais l’échapper, et les appareils portables nous y enchaînent. Cette portabilité est l’aspect le plus important du spectacle intégré et interactif ; le spectacle peut nous toucher n’importe quand, et l’on peut s’y plonger n’importe où que l’on soit. Cette intégration corporelle est une évolution récente, mais signifiante, et le narcissisme qui suit est sans précédent. L’obsession avec les apparences et la consommation garantit la complaisance des masses.
On a vu l’évolution du spectacle, mais pourquoi est-ce que cela nous concerne? Dans la préface de la troisième édition française de La Société du spectacle, sortie en 1992, quatre ans après Commentaires, Debord dit qu’« Une telle théorie critique n’a pas à être changée; aussi longtemps que n’auront pas été détruites les conditions générales de la longue période de l’histoire que cette théorie aura été la première à définir avec exactitude » (Debord, Société, 7). Cette déclaration est toujours vraie : les conditions n’ont aucunement changé jusqu’à présent. Les « conditions » idéales au spectacle durent toujours, et ont même augmenté grâce à Internet. Si Debord était vivant aujourd’hui, il dirait que la société n’a pas seulement continué le spectacle, mais a aussi augmenté sa puissance et sa prévalence. Internet, et la culture du consumérisme et du narcissisme qu’il soutient, a sauvegardé le spectacle et y a ajouté de nouvelles dimensions. Dans sa préface Debord continue, « La continuation du développement de la période n’a fait que vérifier et illustrer la théorie du spectacle » (7-8). Avec chaque année qui passe, cela devient de plus en plus vrai. Les avances technologiques et les attitudes collectives des habitants de l’Occident moderne ont créé un cycle de consumérisme plus ordonné et plus effrayant que celui décrit par Debord dans son livre. La société du spectacle est la société d’aujourd’hui et il faut que nous la comprenions et que nous fassions tout notre possible pour la définir. Même si nous ne sommes pas tous d’accord sur la définition du « spectacle » ou même sur son existence, les idées de Debord sont très pertinentes aux changements récents de la culture occidentale. Dans ses Commentaires, Debord explique exactement pourquoi l’on doit comprendre le spectacle, et son argument et toujours cohérent de notre temps.
Mais enfin la société du spectacle n’en a pas moins continué sa marche. Elle va vite,car en 1967, elle n’avait guère plus d’une quarantaine d’années derrière elle ; mais pleinement employées. Et de son propre mouvement, que personne ne prenait plus la peine d’étudier, elle a montré depuis par d’étonnants exploits, que sa nature effective était bien ce que j’avais dit. Ce point établi n’a pas seulement une valeur académique ; parce qu’il est sans doute indispensable d’avoir reconnu l’unité et l’articulation de la force agissante qu’est le spectacle, pour être à partir de là capable de rechercher dans quelles directions cette force a pu se déplacer, étant ce qu’elle était. Ces questions sont d’un grand intérêt ; c’est nécessairement dans de telles conditions que se jouera la suite du conflit dans la société. (16)
Ici, Debord a expliqué le problème : avec le passage du temps, le spectacle devient plus prononcé. Il y a assisté durant les deux décennies qui séparent ses livres, et cette tendance continue. L’étude du spectacle est importante pour tout le monde, et il faut bien comprendre la nature du spectacle pour la changer. Si l’on est conscient des effets du spectacle, ou des conséquences d’une société spectaculaire, on peut choisir entre complaisance ou défi. Les Situationnistes ont lutté contre les diversions du spectacle pour préserver l’authenticité, la pensée indépendante, les expériences vraies, l’unité, et la créativité (production au lieu de consommation). Le spectacle tente d’étouffer tous ces traits avec le fétichisme de la marchandise, la séparation, l’aliénation, et la distraction. L’unité et la communauté sont les premières victimes du spectacle que je voudrais adresser. Ces dernières se manifestent au niveau individuel. Debord parle beaucoup de la séparation entre producteur et produit, une idée qu’il a prise de Marx qui l’a remarqué au 19ème siècle. Ceci est le résultat d’une société capitaliste où le travailleur perd le contact avec tout ce qu’il produit.iii Il n’est plus qu’un rouage dans le grand mécanisme de l’économie de production et consommation. Le travailleur n’a même plus besoin de savoir ce qu’il produit pour bien faire son travail. La distance entre producteur et produit affecte aussi la relation entre consommateur et marchandise, et entre les travailleurs qui sont aussi séparés les uns des autres. Le spectacle a isolé ces parties différentes de la chaîne de production-consommation, et a séparé non seulement le travailleur de son produit, mais aussi le consommateur de la marchandise et de la source de ce qu’il consomme. Dans la thèse 28 Debord écrit, « Le système économique fondé sur l’isolement est une production circulaire de l’isolement. L’isolement fonde la technique, et le processus technique isole en retour » (29-30). Cet isolement de l’individu est issu de l’isolement économique. Maintenant chacun est isolé dans le spectacle même, car la communication est médiatisée par des machines qui produisent des images (je parle des « smartphones » et des ordinateurs portables). De plus l’isolement cyclique est encouragé par Internet et par le flot d’information auquel on peut accéder. Comme la communication interpersonnelle est facilitée par Internet et par les appareils électroniques, la communication vis-à-vis devient presque superflue. En sorte que tout le monde est isolé ensemble et l’unité se trouve paradoxalement dans la séparation. De plus, cette séparation est subtile et difficile à reconnaître puisque :
Le spectacle se présente à la fois comme la société même, comme une partie de la société, et comme un instrument d’unification. En tant que partie de la société, il est expressément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience. Du fait même que ce secteur est séparé, il est le lieu du regard abusé et de la fausse conscience ; et l’unification qu’il accomplit n’est rien d’autre qu’un langage officiel de la séparation généralisée. (Debord, Société, 16) La présentation du spectacle comme « instrument d’unification » est un mensonge dangereux. Ceux qui cherchent la communauté dans le monde virtuel contribuent à leur propre isolement lorsqu’ils se dirigent vers Internet. Ce langage, cette communication d’images semblent construire des liens entre les individus, et ainsi paraît les encourager vers l’unité. En fait, c’est pour cette raison que les sites de réseaux sociaux sont devenus si populaires : ils promettent l’occasion de se relier à ses amis et à sa famille n’importe où dans le monde. Selon Debord dans thèse numéro 167, « Cette société qui supprime la distance géographique recueille intérieurement la distance, en tant que séparation spectaculaire » (164). La connexion instantanée entre les personnes malgré les grandes distances entre elles semble nécessaire pour l’unité, mais cette communication ne fait qu’agrandir la distance spectaculaire. Superficiellement on penserait que c’est un instrument pour encourager l’unité, mais en réalité ces sites ne font que renforcer l’isolement dans un sens interactif. Les gens qui utilisent ces sites passent leur temps à regarder passivement la représentation de la vie au lieu de vivre leur vie, en même temps ils transforment leurs propres vies en images et en mots pour la présenter aux autres. La « séparation généralisée» est plus indéniable maintenant puisque tout le monde préfère regarder son petit écran individuel au lieu d’interagir directement avec un autre être humain. La deuxième thèse de La Société du spectacle dit que «Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l’unité de cette vie ne peut plus être rétablie. La réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation » (15). Bien que le spectacle soit interactif, les images qu’il comprend sont créées par les mêmes individus qui vont le consommer. Cette idée que les images sont détachées de la vie est une des clés pour comprendre le spectacle. L’image n’est pas en fait la vie, elle est une représentation fausse de la vie qui détruit l’unité et distrait de la vie même. La considération partielle de la réalité dont parle Debord dans cette citation est une considération d’images, car l’amalgame des images est le « pseudo-monde » qui est contemplé, et dans un sens consommé, par les masses. Debord cite Lewis Mumford dans la thèse 172 de La Société du spectacle pour illustrer cet argument, « Avec les moyens de communication de masse sur de grandes distances, l'isolement de la population s'est avéré un moyen de contrôle beaucoup plus efficace » (166). Malgré cette prouesse de la communication, les personnes qui communiquent ensemble sont toujours isolées. Elles ne participent pas à la vie réelle lorsqu’elles se parlent. Le contrôle des populations est plus facile quand tout le monde est isolé sans le savoir. Si l’illusion de l’unité est maintenue, les individus seront plus contentés. Le sentiment d’être plus connecté aux autres quand on est en ligne peut être puissant, mais les individus ne font que contempler un écran pour établir cette connectivité. Si l’usage des sites de réseautage social est indicatif de cet isolement, on peut voir que l’aliénation est toujours en train de grandir.iv Il est aussi notable que l’individu d’aujourd’hui passe plus de temps à contempler un écran, ce qui fait que les publicités des corporations peuvent lui parvenir plus facilement. Ainsi, les gens ne sont-ils pas seulement facilement isolés, mais aussi facilement manipulés. Le manque d’unité affaibli le pouvoir des masses et rend le peuple plus complaisant.
L’illusion d’unité est un bon exemple d’une autre qualité du spectacle, peut-être l’une des plus importantes. Il y a plus d’un siècle, Karl Marx écrit sur le sujet de « l’être » qui devient «l’avoir » et Debord, inspiré par ces philosophies, a pris cette notion plus loin pour l’appliquer à son temps. La première phase de la domination de l’économie sur la vie sociale avait entraîné dans la définition de toute réalisation humaine une évidente dégradation de l’être en avoir. La phase présente de l’occupation totale de la vie sociale par les résultats accumulés de l’économie conduit à un glissement généralisé de l’avoir au paraître, dont tout « avoir » effectif doit tirer son prestige immédiat et sa fonction dernière. (Société, Quand le paraître est plus important que l’être ou même l’avoir, le spectacle est absolument présent. Si l’on pense au spectacle comme à un monde d’images, une entité de représentation, il ne peut être que le paraître. Rien dans le spectacle n’est vrai ou original, donc il faut paraître réel. Ceux qui communiquent ensemble à travers les images ou les messages envoyés sur
Internet communiquent en fait avec le spectacle, ainsi le spectacle est aussi un instrument de séparation. Il a été établi que la séparation (ou l’isolement) est un moyen de domination, et cette « dégradation » continue plus loin que Marx ne pensait. Debord a reconnu l’inversion du prestige et de la fonction d’une chose dans la société spectaculaire. Ceci est toujours vrai, puisque la semblance de l’unité au lieu d’une réunion physique suffit aux masses. La fonction de l’unité est ainsi réduite à l’apparence de connexion. Ceci peut être appliqué à n’importe quel domaine. Ceci est évident dans le monde de la mode : il n’y a aucune différence entre la valeur d’usage d’une jupe de 5 euros ou une jupe semblable de 500 euros, mais la dernière a plus de prestige. Tout sur Internet est une représentation, comme tout dans le spectacle, et cette obsession avec les apparences a des effets très négatifs sur la population. Il est difficile de ne pas croire que tout ce que l’on voit est la vérité, et certains sont devenus déprimés parce que leur vie réelle n’est pas aussi parfaite que celles représentées en ligne.
Au sujet de l’être contre le paraître et la culture spectaculaire, je voudrais examiner une grande partie de notre monde d’aujourd’hui qui est considéré comme acquis. Si l’on veut générer un discours sur spectacle (et particulièrement sur le spectacle interactif) ces jours-ci, il ne faut pas ignorer le sujet de la culture de réseaux sociaux en ligne. Ce motif est inévitable, et il est invoqué une multitude de fois dans cette mémoire-ci, mais il vaut la peine d’en consacrer une partie pour en discuter. Il y a de nombreuses plateformes qui nous laissent nous lancer dans le monde virtuel, et chacune permet et soutient le spectacle interactif. Le succès de ces sites peut être attribué à plusieurs éléments de notre société moderne. Le désir de figer le temps pour préserver le présent, la photographie, le narcissisme, et les technologies portables, les « smartphones, » sont tous contributeurs à la culture en ligne de réseaux sociaux et à son tour, au spectacle interactif. Les paragraphes suivants dans ce texte expliquent plus profondément comment ces éléments ont contribué au spectacle interactif, mais il est important de démontrer comment ils sont liés au monde virtuel des réseaux sociaux. Premièrement, le désir de préserver le présent, en mots ou en images, est un de ces traits jadis mentionnés dans Commentaires, le « présent perpétuel » (25). Dans un monde si transitif, la préservation des expériences semble essentielle. Il est généralement accepté que le temps avance dans une direction unique. et qu’il est irréversible. Debord pose que « Ceux pour qui le temps irréversible a existé y découvrent à la fois le mémorable et la menace de l'oubli » qui est directement lié à l’usage de sites sociaux (Société, 132). La construction d’un profil sur ces plateformes et l’action d’archiver les expériences, quotidiennes ou extraordinaires, est un moyen de combattre « la menace de l’oubli».
Deuxièmement, cette action de partager ces archives indique un narcissisme et un besoin de la validation d’autrui très profond. En rendant les archives de la vie normale d’un individu normal disponibles à n’importe qui, la vie est effectivement transformée en marchandise. Les deux éléments précédents sont soutenus inextricablement par la photographie, car cela est le moyen le plus accessible de préserver le présent et de reproduire le soi en termes de reproduction et de consommation : on peut se contempler soi-même dans le reflet d’un miroir, mais avec la photographie on peut s’éloigner du soi et se répandre dans le monde virtuel. Finalement, les portables, qui aujourd’hui sont tous équipés d’un appareil photo et d’une connexion à Internet, sont nécessaires à l’avancement de la documentation photographique, du narcissisme, et de la connexion pour ceux qui consomment ce flot de média. Avec les technologies portables, on peut interagir avec le spectacle en faisant soit la contribution soit la consommation de média. Les réseaux sociaux offrent une interface pour entrer dans le spectacle et pour figer le temps, mais on risque de s’éloigner de l’histoire, ou de la définition de l’histoire selon Debord. Il dit dans sa thèse 126 que « la société qui alors a maîtrisé une technique et un langage, si elle est déjà le produit de sa propre histoire, n'a conscience que d'un présent perpétuel. . . . Le temps reste immobile comme un espace clos » (126). De plus, il invoque le présent perpétuel comme l’antithèse de l’histoire, et les réseaux sociaux assistent à sa création. Cette création d’un présent perpétuel est le rejet de l’histoire, parce que l’action de ce présent figé créer exige que la personne n’y participe pas. On peut le témoigner dans chaque action de la vie, que ce soit un repas que l’on photographie avant de le manger ou un enregistrement d’un concert au lieu d’y participer.
L’abondance de ce que Baudelaire appelle dans Le Peintre de la Vie Moderne « la modernité » peut être considérée comme un autre sous-produit du spectacle et aussi l’entité responsable pour l’état constant de changement dans le monde moderne. Baudelaire nous offre cette définition, « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable » (1163). Ces trois traits durent dans la société contemporaine. La rapidité avec laquelle la société change maintenant est plus soutenue que durant n’importe quel siècle précédent. Du jour au lendemain, la technologie, la mode, la culture populaire, et, bien sûr, les informations s’altèrent presque avant qu’elles ne puissent être acceptées. Les nouvelles changent toujours (sinon, elles cessent d’être des nouvelles) mais la grande différence est le moyen de distribution. C’est pareil pour la mode : la mode a toujours été un exemple de ce changement rapide depuis des siècles (Baudelaire l’emploie pour démontrer la vitesse de changement pendant le 19ème siècle) mais maintenant il est impossible d’adopter la mode la plus récente avant qu’elle ne soit remplacée. Maintenant avec la distribution instantanée des informations, tout le monde qui se connecte à Internet sait tout de suite ce qu’il se passe à ce moment-là ou quelle personne branchée vient de débuter une nouvelle tendance. La thèse 71 décrit la même fluctuation qui caractérise la société moderne : « Ce que le spectacle donne comme perpétuel est fondé sur le changement, et doit changer avec sa base » (Debord, 65). C’est toujours plus vrai comme le taux de changement dans le monde accélère. Ce nouveau niveau de rapidité contraste nettement avec l’état statique des êtres humains qui essaient de se tenir au courant de leur monde fluctuant. Cet état statique est le produit d’une population obsédée de tout ce qui économise du temps. On veut communiquer plus vite avec autrui, connaître plus vite les informations, et arriver plus vite à sa destination. Debord a noté ce paradoxe dans la thèse numéro 153 en disant « on sait que les gains de temps constamment recherchés par la société moderne - qu'il s'agisse de la vitesse des transports ou de l'usage des potages en sachet - se traduisent positivement pour la population des Etats-Unis dans ce fait que la seule contemplation de la télévision l'occupe en moyenne entre trois et six heures par jour » (153). La société moderne a atteint un tel niveau d’efficacité que l’on passe plus de temps en contemplation que jamais. La consommation de média est, comme indiqué auparavant, facilitée par les technologies portables, et le temps passé en contemplation continue à augmenter. Tous les petits moments d’ennui ou d’attente sont passés à regarder les petits écrans de poche.
Le spectacle détruit aussi la connexion entre l’individu et sa vie vécue, et ainsi la connexion entre l’individu et l’histoire. Debord, et les autres membres d’IS posent que l’on ne prend part à l’histoire que si l’on produit sa propre expérience. Comme mentionné précédemment, la séparation est accomplie dans l’action de contempler la vie et on est aliéné par la contemplation de la vie sans la production d’expériences. La thèse numéro 30 déclare que, « L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé (qui est le résultat de sa propre activité inconsciente) s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir» (Debord, 31). Cette reconnaissance dont il parle est plus évidente aujourd’hui : tout le monde peut s’identifier avec ce qu’il trouve en ligne et il est très facile de se transformer en images avec les représentations dans les réseaux sociaux. Aujourd’hui, il y a plus de contemplation que jamais. Avec les ordinateurs on peut chercher n’importe quoi qui nous intéresse et consommer les expériences virtuelles au lieu de la vie authentique. Ainsi l’authenticité aussi est compromise par le spectacle : on se transforme effectivement en marchandise reproductible. On laisse de plus en plus le temps se passer sans participation authentique. La reproduction répandue de n’importe quoi (des œuvres d’art, de la littérature, de la musique, et même du soi) laisse au spectateur voir tout san quitter sa chambre. D’un côté, il peut consommer ce qu’il veut en tout confort chez lui et sans limites. D’un autre côté, ce qu’il voit et ce qu’il fait manquent ce que Walter Benjamin appelle « l’aura. » Les spectateurs risquent de perdre cette aura dans leur vie entière lorsqu’ils contemplent le spectacle. Comme Internet, la photographie a révolutionné le monde de l’art et le monde sociopolitique. Benjamin parle du manque d’aura dans la photographie, mais ses idées sont aussi pertinentes à la vie moderne.
L’aura se compose de l’authenticité et de l’histoire en même temps, l’« ici » et le «maintenant, » ou comme dit Benjamin, « son hic et nunc». « [Son] existence unique au lieu où elle se trouve. Sur cette existence unique, exclusivement, s'exerçait son histoire » (Benjamin, 41). L’aura est la circonstance même dans laquelle une œuvre est créée, et c’est elle qui lui donne son individualité. La Joconde n’est pas connue parce qu’elle est la plus belle peinture du monde, mais parce que son créateur était connu, et parce qu’elle a reçu de la publicité à cause de plusieurs attentats de vandalisme. Le tableau se trouve maintenant au Musée du Louvre à Paris ou des milliers de touristes le visitent chaque année, malgré qu’il soit reproduit partout. Les visiteurs cherchent l’aura ; ils veulent partager le même espace que cette œuvre célébrée parce qu’ils pourront alors dire qu’ils ont vu un tableau fameux. La valeur de voir ce tableau en personne est une cause du phénomène de l’aura. L’histoire de cette œuvre qui la rend authentique n’est pas reproductible comme son image, donc la vue de l’original mérite le voyage. Benjamin propose que les arts reproductibles tuent l’aura parce que l’original n’existe plus. À travers la photographie, il n’y a pas de sens à chercher le tirage authentique (Benjamin, 1057).
L’authenticité, et à son tour, l’aura, est diminué par la qualité de la reproductibilité. L’œuvre originale ne vaut pas plus quand la reproduction est exactement la même. L’histoire, le « hic et nunc » sont absolument perdus dans l’époque de la reproduction mécanisée. Selon Benjamin, la photographie et tous les arts reproductibles ont changé radicalement le rôle de l’art dans la société : les arts reproductibles sont basés sur la politique au lieu d’être basés sur le rituel comme l’art authentique (Benjamin, 1056-1057). Ce déplacement de l’art de l’usage rituel à la politique a marqué le commencement d’une époque de transformation pour l’art et sa distribution. La photographie nous laisse saisir facilement un instant de temps, un évènement historique, une personne, un paysage, sans imagination ni effort. Oui, on peut passer son temps à encadrer parfaitement une photo et faire cela comme un art, mais aujourd’hui les appareils photo se trouvent dans tous les portables donc n’importe qui peut être photographe.
En même temps que Benjamin propose que la photographie manque l’aura à cause de sa reproductibilité, un autre penseur se focalise sur l’effet de la photographie sur la conservation des personnes. Roland Barthes, un critique et théoricien actif pendant les années soixante à soixante-dix, a expérimenté avec la photographie comme représentation d’une personne quand il a essayé de « trouver » sa mère dans les photos anciennes après son décès. Son livre La chambre claire décrit sa recherche de sa mère au milieu de ses photographies. Quelques extraits de ce livre illustrent ses pensées sur comment la photographie réussit ou rate cette préservation. Barthes a fait une observation générale de la photographie qui correspond directement au spectacle. L’Operator, c’est le Photographe. Le Spectator, c’est nous tous qui compulsons, dans les journaux, les livres, les albums, les archives, des collections de photos. Et celui ou cela qui est photographié, c’est la cible, le référent, sorte de petit simulacre, d’eidôlon émis par l’objet, que j’appellerais volontiers le Spectrum de la Photographie, parce que ce mot garde travers sa racine un rapport au « spectacle » et y ajoute cette chose un peu terrible qu’il y a dans toute photographie : le retour du mort. (Barthes, 22-23)
En utilisant les mots « Spectator » et « Spectrum » et en faisant attention à la racine commune de ces mots avec « spectacle », le spectacle dont Debord parle est invoqué dans ce contexte. Barthes et Debord étaient contemporains, et il est évident dans cet extrait qu’ils ont trouvé des aspects similaires des représentations de la vie dans la photographie. Barthes était perturbé par le « retour du mort » qui est rendu possible par les photographies. Il parle de « petit simulacre » et d’« eidôlon, » les deux veulent dire fantôme, spectre, ou représentation fausse. Ainsi, le mot « spectre » partage cette racine de « spectacle. » Debord lui-même mentionne dans la thèse 200 de La Société du Spectacle « l'histoire elle-même hante la société moderne comme un spectre, que l'on trouve de la pseudo-histoire construite à tous les niveaux de la consommation de la vie, pour préserver l'équilibre menacé de l'actuel temps gelé » (192). Debord parle en grands termes de la société entière hantée par les mémoires du passé, mais c’est la même idée. La consommation ici est la consommation de l’image d’une personne, et le temps est littéralement gelé dans ces photos. Barthes trouve la même qualité dans les photographies. Elles sont une « pseudo histoire » de sa mère et il était troublé non seulement par le manque de sa mère, mais par sa mémoire qui le hante lorsqu’il la recherche dans des représentations inadéquates. L’aura de sa mère, pour utiliser le mot de Benjamin, n’était pas complètement préservé dans ces photos. La photographie était un grand point de transformation à travers le spectacle, parce que sa reproductibilité et son pouvoir de saisir partiellement une personne, une chose, ou un moment du temps était le début de ce « rapport social médiatisé par les images ». La photographie fournit les images. Pendant sa recherche, Barthes raconte les difficultés qu’il a affrontées quand les photos l’ont déçu.
Au gré de ces photos, parfois je reconnaissais une région de son visage, tel rapport du nez et du front, le mouvement de ses bras, de ses mains. Je ne la reconnaissais jamais que par morceaux, c’est-à-dire que je manquais son être, et que, donc, je la manquais toute. Ce n’était pas elle, et pourtant ce n’était personne d’autre. Je l’aurais reconnue parmi des milliers d’autres femmes, et pourtant je ne la « retrouvais » pas. Je la reconnaissais différentiellement, non essentiellement. La photographie m’obligeait ainsi un travail douloureux; tendu vers l’essence de son identité, je me débattais au milieu d’images partiellement vraies, et donc totalement fausses. Dire devant telle photo « c’est presque elle ! » m’était plus déchirant que de dire devant telle autre « ce n’est pas du tout elle ». Le presque : régime atroce de l’amour, mais aussi statut décevant du rêve — c’est pourquoi je haïs les rêves. (103)
Cette fragmentation qu’il trouve est une qualité des photos qui les rend inadéquates comme conservatrices de personnes : elles ne peuvent être qu’infiniment incomplètes, parce la photo saisit un seul moment encadré à la fois. La photographie n’est qu’une métaphore de la vie vraie : elle définit son sujet en termes faux. Pour Barthes c’était extrêmement difficile. Les petits moments de « presque » où les parties de sa mère étaient préservées avec succès ont ressuscité le spectre. Cette séparation entre sa mère qu’il se rappelle et sa mère dans les photos est un élément du spectacle qui a augmenté énormément depuis le temps de Barthes et Debord. La photographie est plus omniprésente que jamais à cause de la technologie portable, les obligations des réseaux sociaux, et l’habitude de prendre des « selfies. » Cette séparation entre soi et photo, ce «spectre» d’histoire et de mémoire qui hante le présent, et ce manque d’aura sont en même temps instruments et résultats du spectacle interactif. Avec les appareils photo on peut faire semblant d’avoir une vie intéressante et on peut partager des parties particulières de soi avec tout le monde tout en cachant les autres parts. La photographie montre une fausse réalité encadrée, prête pour la contemplation, dépourvue de l’aura ou du contexte historique, et séparée de la vie réelle. Ainsi, la photographie facilite la contemplation de la vie et empêche les spectateurs de vivre la vie. Elle est un agent de la séparation et un autre instrument du spectacle qui détruit l’unité.
Un autre élément de la société touché par les avances technologiques qui est à la fois produit et producteur du spectacle est le narcissisme ou la consommation du soi. La culture occidentale ne s'intéresse pas uniquement à elle-même, mais elle adopte aussi une vie numérique. L’interaction entre personnes est médiatisée par les images : les gens produisent des photos d’eux-mêmes qui montrent ce qu’ils veulent que tout le monde voit, et les autres consomment les images en pensant que c’est la réalité. La contemplation du soi a déménagée du miroir à la photo, grâce à l’avance de technologie portable, et la contemplation est devenu la consommation. À l’époque moderne avec les réseaux sociaux comme Instagram, Twitter, Facebook, et Snapchat chaque individu ressent qu’il peut être une vedette parce que ces sites lui permettent d’être vu par une multitude de personnes en ligne. v La popularité de ces plateformes est évidente dans les statistiques d’usage. D’après le site Statista, qui suit l’utilisation de sites populaires, ces quatre sites ont augmenté la quantité des comptes actifs depuis leurs débuts. On peut déduire par cette information que la présence virtuelle est en train de devenir plus importante. Ces plateformes promeuvent le jugement et la consommation avec le bouton « like » et elles laissent les individus faire les remarques qu’ils veulent. Naturellement, une personne veut accumuler le plus de «likes» ou remarques positives que possible. Pour réussir cela, un individu modifie sa présence virtuelle de sorte qu’il puisse plaire aux autres. Cela veut dire que ceux qui ont l’essai font besoin d’un public pour le consommer. Dans son livre La culture du narcissisme Christopher Lasch écrit « Malgré ses illusions sporadiques d’omnipotence, Narcisse a besoin des autres pour s’estimer lui- même ; il ne peut vivre sans un public qui l’admire » (36). Maintenant l’individu normal possède les instruments pour créer cette audience et devenir marchandise consommable. Ce besoin d’être admiré est quasiment dormant dans chacun, mais les réseaux sociaux le nourrissent en rendant possible la publication de la vie individuelle. Avec ces plateformes, l’individu peut projeter son image et ses pensées dans l’espace virtuelle d’Internet et le public peut soit l’admirer, soit le ridiculiser. On espère toujours le premier. Se lancer volontairement soi-même, soit en photos (image) soit en petits « status updates » (pensées), permis par les technologies portables, est un symptôme du narcissisme, mais aussi du spectacle. Il est presque impossible de distinguer l’un de l’autre, car le spectacle est à la fois stimulé par la consommation de marchandises et aussi catalysé par cette consommation du soi qui a été à son tour inspiré par le narcissisme.
Ce narcissisme, augmenté par le monde numérique, et facilité par les plateformes où l’on partage ses images et ses pensées, est encouragé par une avance particulière d’Internet : c’est la technologie portable, et surtout les écrans portables. Avant les petits appareils capables de communiquer avec le reste du monde, l’écran était un espace habité par les personnes importantes, comme les vedettes de cinéma, les figures politiques, ou les journalistes (Ibrahim, 105). La minimisation et la dispersion des écrans ont rendu possible l’accès commun aux espaces jadis réservés aux grands personnages. L’écran s’est transformé en véhicule qui permet à l’individu de participer au cœur de l’écran pour devenir la vedette (Ibrahim, 105). Le soi n’est plus privé et n’est plus qu’une autre marchandise qui peut être consommé par les masses. Cela est la victoire suprême du spectacle interactif.
Le spectacle, qui est l'effacement des limites du moi et du monde par l'écrasement du moi qu'assiège la présence-absence du monde, est également l'effacement des limites du vrai et du faux par le refoulement de toute vérité vécue sous la présence réelle de la fausseté qu'assure l'organisation de l'apparence. Celui qui subit passivement son sort quotidiennement étranger est donc poussé vers une folie qui réagit illusoirement à ce sort, en recourant à des techniques magiques. La reconnaissance et la consommation des marchandises sont au centre de cette pseudo-réponse à une communication sans réponse.
Le besoin d'imitation qu'éprouve le consommateur est précisément le besoin infantile, conditionné par tous les aspects de la dépossession fondamentale. Selon les termes que Gabel applique à un niveau pathologique tout autre, « le besoin anormal de représentation compense ici un sentiment torturant d'être en marge de l'existence. (Debord, Société, 207- 208) C’est là où le narcissisme est décisif, mais Yasmin Ibrahim propose qu’il ne soit pas la seule cause de la « commodification du soi » (104). Le pouvoir de la technologie d’agrandir l’individu plus que le monde corporel est un facteur important dans ce processus. Maintenant que n’importe qui peut habiter les espaces autrefois réservée pour les célébrités, un phénomène propre à l’époque contemporaine, les gens ordinaires aspirent au niveau de vedette. Lasch, en parlant de la population américaine, dit aussi plus tard dans son livre
Les moyens de communication de masse, avec leur culte de la célébrité, ont fait des Américains une nation d’admirateurs fanatiques. Ils donnent pâture aux rêves narcissiques de gloire et renommée, encouragent l’homme de la rue à s’identifier aux gens célèbres, à haïr le « troupeau » et lui rendent ainsi difficilement tolérable la banalité de l’existence quotidienne. (51) Cette identification aux vedettes et ces rêves narcissiques enfoncent l’individu plus profondément dans le cycle de la consommation et de l’auto-commodification. Si la personne normale s’identifie aux personnages extraordinaires, cette personne va tenter d’atteindre une existence extraordinaire. Cet essai peut être manifesté comme l’achat de marchandises associées aux vedettes, ou la tentative d’accumuler une renommée en ligne. Les portables facilitent la communication en masse, en même temps qu’ils rendent faisable la possibilité d’une vie extraordinaire. En transformant le soi en marchandise, l’individu prend le rôle d’un personnage ou d’une vedette connu. De plus, avec la nouvelle habitude de « selfies » l’individu peut non seulement être consommé par autrui mais peut aussi se consommer lui-même. Ainsi la technologie portable et la photographie ont-elles collaboré de sorte que le soi puisse devenir marchandise. Comme cela le soi, standardisé et reproduit sans relâche, perd son aura et le soi est de plus en plus séparé de l’individu (Ibrahim 104-105).vi L’image de n’importe qui est dans un sens mise en vente comme les images des célébrités, et il y a de plus en plus de matière disponible à la contemplation. Les petits écrans nous laissent devenir nous-mêmes les objets de la contemplation, et nous laissent aussi passer une plus grande part de notre vie en contemplation du spectacle. L’écran est devenu le nouveau miroir où tous les Narcisses se contemplent.
Debord adresse le sujet des vedettes et de leur rôle dans la société du spectacle. Il dit dans la thèse numéro 60 qu’ : En concentrant en elle l'image d'un rôle possible, la vedette, la représentation spectaculaire de l'homme vivant, concentre donc cette banalité. La condition de vedette est la spécialisation du vécu apparent, l'objet de l'identification à la vie apparente sans profondeur, qui doit compenser l'émiettement des spécialisations productives effectivement vécues. Les vedettes existent pour figurer des types variés de styles de vie et de styles de compréhension de la société, libres de s'exercer globalement. Elles incarnent le résultat inaccessible du travail social, en mimant des sous-produits de ce travail qui sont magiquement transférés au-dessus de lui comme son but: le pouvoir et les vacances, la décision et la consommation qui sont au commencement et à la fin d'un processus indiscuté. . . (55-56)
Debord présente les vedettes ici comme « représentations spectaculaires » d’êtres humains et de la vie en général. Elles représentent aussi les vies impossibles que les personnes ordinaires désirent mais n’atteignent pas. Leur rôle est simple : de se comporter comme si leur vie était réalisable pour les travailleurs, comme si les vacances et les marchandises définissaient le succès. Ainsi les travailleurs veulent travailler plus afin qu’ils puissent obtenir les fonds pour soutenir une pareille vie. Le capitalisme inculque aux travailleurs le message « plus de travail égal plus d’argent » donc les vedettes sont des instruments très efficaces pour encourager le travail. Si le prolétariat s’identifie à cette représentation inexacte, et si, comme dit Lasch, il déteste le « troupeau » et la banalité, alors il ne s’identifie pas à ses semblables. C’est encore un autre moyen d'effectuer cette séparation qui caractérise le spectacle. En même temps, cette identification aux grands personnages qui occupent l’écran ajoute un élément au narcissisme existant : elle motive les gens normaux à s’introduire dans l’espace spectaculaire (le monde de représentations, Internet) sans pour autant vivre un vie authentique.
L’idée de l’authenticité n’est pas complètement perdue dans notre époque de spectacle interactif, mais cette idée a été modifiée pour servir le spectacle. Comme l’aura, l’authenticité a diminué, mais l’impression reste. En grande partie, le peuple attache de l’importance à l’authenticité et à la vérité. C’est pourquoi les mots « authentique » ou « véritable » sont utiles pour le marketing, et aussi pourquoi les foules se rassemblent devant les grandes œuvres d’art. Les gens veulent posséder et consommer l’authenticité, même si l’authenticité est fabriquée. Le problème de base est que ce qu’ils considèrent authentique est ce que les autres ont identifié comme authentique. Ils ne produisent ni ne trouvent leur propre authenticité, mais ils consomment plutôt les opinions des autres. Ils cherchent une authenticité qu’on leur a signalée comme authentique, mais ils la recherchent pour indiquer qu’ils sont cultivés et raffinés, et non pas dans l’intérêt de l’authenticité elle-même. Dans le premier paragraphe de Peintre de la vie moderne, Baudelaire identifie ce type en disant,
Il y a dans le monde, et même dans le monde des artistes, des gens qui vont au musée du Louvre, passent rapidement, et sans leur accorder un regard, devant une foule de tableaux très intéressants, quoique de second ordre, et se plantent rêveurs devant un Titien ou un Raphaël, un de ceux que la gravure a le plus popularisés ; puis sortent satisfaits, plus d'un se disant : "Je connais mon musée." Il existe aussi des gens qui, ayant lu jadis Bossuet et Racine, croient posséder l'histoire de la littérature. (1152)
Du temps de Baudelaire ces cibles étaient les œuvres connues, l’art et la littérature qui gardent leur aura, et qui accordent une connaissance supérieure de la culture si on les contemple. Baudelaire plaisante un peu dans ce passage, mais ces gens existent toujours. Ce désir de sembler posséder de solides connaissances en art ou en histoire de la littérature existe encore. Même les gens de notre époque, qui peuvent voir toutes les grandes peintures sur Internet ont envie de voir l’original. C’est une forme de la consommation et du narcissisme conjointe, car quand ces gens participent à la représentation, ils veulent que leur action de devenir cultivé soit validée par un public virtuel. Au Louvre ces jours ci, les gens qui font le voyage ont hâte non seulement de voir les grands tableaux et les sculptures connues, mais de démontrer et même de prouver qu’ils les ont vus. Les foules autour la Joconde ou la Vénus de Milo ne les voient pas directement avec leurs yeux, mais à travers l’objectif de leur appareil photo. L’image de l’œuvre juste devant eux est plus importante que l’œuvre même, parce que après avoir quitté le musée ils vont télécharger cette image et pourront ainsi prouver qu’ils sont cultivés. C’est un exemple de l’importance du paraître qui dépasse l’être. Les gens du temps de Baudelaire n’étaient pas vraiment de grands admirateurs d’art ou de littérature, mais ils n’étaient pas non plus séparés de ces œuvres, ou même de la réalité, comme les gens d’aujourd’hui.
Le désire d’authenticité est maintenant exploité par le spectacle à un niveau sans précédent. Le monde irréel de représentation a saisi la société réelle dans sa prise, et c’est la perception et non pas la vérité qui contrôle tout. Dans la sixième thèse de Société Debord écrit : [Le spectacle] est le cœur de l’irréalisme de la société réelle. Sous toutes ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le spectacle constitue le modèle présent de la vie socialement dominante. Il est l‘affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire. (17)
Ce « choix déjà fait » est le même choix qui a décidé ce qui peut être considéré authentique. C’est le choix fait dans la production (de marchandises ou d’idées, cela n’a pas d’importance), renforcé dans les publicités, et puis accepté par les consommateurs. Le choix de ce qui a de l’authenticité est ironique parce que l’authenticité est quasiment annulée par l’assimilation du choix. L’exemple le plus clair de ce phénomène paradoxal est la télé réalité. Même le titre du genre est contradictoire, parce que la télévision est un média de fiction encadrée qui est incapable de montrer la réalité. Dans « Paradox and the Consumption of Authenticity through Reality Television » les auteurs Rose et Wood estiment que le succès de la télé réalité est attribuable à la nostalgie pour l’authenticité, qui est en fait ce qui manque le plus aux consommateurs.vii Dans les mondes de télé réalité les vedettes sont remplacées par des gens ordinaires qui sont plus semblables aux spectateurs. L’idée de l’identification aux vedettes que Lasch a mentionné est en jeu ici aussi, mais la distance entre les deux a diminué. En fait la présence des gens ordinaires dans un espace encadré et produit par des professionnels ajoute au narcissisme, mais dans une voie plus subtile que la télé fictive. Les spectateurs s’identifient plus avec les personnes réelles qui ne jouent pas un rôle, parce que les personnes réelles ressentent une expérience fantastique sans prendre part à un monde fictif. La télé réalité se compose d’un paradoxe qui catapulte l’homme ou la femme ordinaire dans une situation fabriquée. La consommation de l’authenticité au lieu de l’expérience de l’authenticité est liée au désir de consommer l’aura comme les gens du musée. Le peuple ne veut pas lâcher ces valeurs, mais ils ne veulent pas non plus créer l’authenticité.
Un autre paradoxe évident de l’authenticité est le tourisme. Les gens voyagent pour éprouver de nouvelles cultures et expériences, mais en fait l’espace géographique n’est qu’une autre marchandise consommable. Debord écrit, Sous-produit de la circulation des marchandises, la circulation humaine considérée comme une consommation, le tourisme, se ramène fondamentalement au loisir d'aller voir ce qui est devenu banal. L'aménagement économique de la fréquentation de lieux différents est déjà par lui même la garantie de leur équivalence. La même modernisation qui a retiré du voyage le temps, lui a aussi retiré la réalité de l'espace. (Société, 164) La banalité est encore importante ici, parce qu’elle relie cette thèse à ce que Baudelaire dit des gens qui « connaissent leur musée. » Ceci est un autre exemple de la consommation de l’aura et de l’authenticité, et une autre instance de la consommation des produits des autres. Les autres ont décidé que cet endroit ou ce monument valent le voyage. Ces touristes dépourvus de vrai culture, ne veulent qu’être perçus comme des personnes cultivées. Ainsi sont-ils capables d’organiser leurs vacances autours d’attractions touristiques célèbres et iconiques pour s’insérer momentanément (à travers leurs photos, leurs Facebook, ou leurs cartes postales) dans une culture à laquelle ils n’ont aucune intention de participer. Ils peuvent, sur le coup, passer quelques semaines en voyage sans jamais abandonner leurs environnement familier, grâce à la globalisation qui leur permet de retrouver leurs chaîne de restauration rapide, leurs marques préférées, et leurs réseaux sociaux qui ne quittent jamais leur poches. Ainsi est-il possible d’aller en Chine et de ne manger que du pain et du fromage. Le tourisme est surtout une indication de statut, comme toutes les marchandises matérielles. La commodification de l’espace et de la culture a nécessité la transformation de culture en marchandise. C’est-à-dire que la culture doit paraître au touriste exactement comme dans les pubs. Le plaisir n’est pas seulement la qualité de l’expérience, mais une qualité d’expérience illusoire et construite (cité dans Rose et Wood, 289).viii Cette construction délibérée des expériences annule l’authenticité vraie, mais rend le voyage plus consommable. Le tourisme et la télé réalité sont deux phénomènes paradoxaux du désir de l’authenticité et de la consommation de l’authenticité construite.
Jusqu’à présent, le spectacle et Internet ont été quasiment interchangeables. Tout ce qui est affiché sur Internet est une représentation virtuelle de la vie ou des produits de l’humanité, donc comment pourrait-il être autrement que spectaculaire ? La diffusion et la consommation des médias, l’égotisme et l’attention exclusive portée à soi, et le narcissisme-même ont acquis leur plénitude grâce à Internet. Il est l’invention de notre époque qui rend possible le spectacle intégré, mais malgré tout il est aussi une entité qui peut être employée pour effectuer un changement réel. Parce que le contenu d’Internet existe dans un monde fondamentalement irréel, cela veut dire qu’il est facilement disponible aux masses. Bien que l’effet immédiat de l’isolation issue d’Internet est ressenti entre les individus, les répercutions de cette forme de communication virtuelle se répandent au delà du réseau numérique. La contemplation passive d’Internet nuit visiblement à l’histoire, à l’authenticité, et à tous les sujets énumérés ci-dessus, mais l’interprétation active de ces informations presque infinies peut avoir d’importantes conséquences. Les réseaux sociaux et la distribution immédiate d’informations permettent l’organisation de gens qui veulent influencer le monde réel. Les effets de ce genre d’organisation sont en évidence dans le domaine politique. Étant donné que la majorité des figures influentes sont actives sur les réseaux sociaux et sur la presse virtuelle, il est raisonnable que leur public soit aussi impliqué dans ces domaines. Ceci devient une lame à double tranchant étant donné que les personnages politiques peuvent aussi facilement gagner l’approbation de leurs supporters que perdre leur respect et leur confiance selon leurs aptitudes à s’afficher en ligne (Werschkul et Trautman, 2011). Internet est devenue un endroit où les individus et leurs leaders peuvent interagir en temps réel, et si on l’utilise bien il peut être un instrument très efficace pour l’engagement des électeurs (Parker, 2011). C’est également un lieu où les informations sont librement partagées, et aussi un champ de bataille où les adversaires se disputent derrière le bouclier de l’anonymat. Le public peut facilement se renseigner sur les développements politiques et peut aussi réagir en partageant ses idées en ligne, ou en organisant ses semblables pour prendre une action dans le monde physique. L’organisation de manifestations est beaucoup plus facile quand on peut informer des milliers de personnes en quelques secondes du lieu, de l’heure, et de l’objectif dans un groupe sur Facebook. Même sans une manifestation, les conversations sur les sujets politiques ou sur la justice sociale qui se passent en ligne servent de moyen pour attirer l’attention sur les problèmes urgents. Ainsi, les personnes au pouvoir sont mises sous pression pour effectuer un changement, ou pour tout au moins sensibiliser le public.
Internet est un instrument puissant pour renforcer la complaisance, mais en même temps il peut être un moyen efficace pour effectuer un changement réel. Cependant, ce changement n’est possible que si les individus font un pont entre le climat en ligne et le monde phénoménal. Internet peut faciliter l’organisation des citoyens d’une manière dont les Situationnistes auraient été fiers, néanmoins le spectacle persiste toujours. Il faut être conscient du spectacle, de cette nouvelle version du spectacle interactif, pour lutter contre elle. Même avec Internet, les technologies portables, la nouvelle manifestation du narcissisme, et tout ce qui renforce le spectacle dans cette époque moderne, il est possible de maintenir notre lien à l’histoire et à l’authenticité. Debord encourage la création de certaines situations qui choquent et surprennent de sorte qu’il puisse combattre la complaisance et la consommation. Il voulait mettre le monde du capitalisme en question et rétablir la relation entre les individus et ce qu’ils produisent. Ce genre d’opposition est encore possible dans le domaine d’Internet, mais il est nécessaire de prendre en considération quelques aspects de la technologie moderne. On peut créer des situations virtuelles, et, en fait, cela peut être très efficace car la plupart des gens passent énormément de temps en ligne. Deux types de méthodes pour opposer le spectacle employées par les Situationnistes étaient la dérive et le détournement,ix mais elles doivent être modifiées pour produire un effet dans notre monde. La dérive est une pratique liée au « flâneur, » une terme introduit par Baudelaire au 19ème siècle pour décrire l’homme de la foule qui erre les rues de Paris sans but sauf celui vivre dans le présent. La dérive est l’action du flâneur, une exploration à pied sans destination d’un site urbain. En termes plus modernes, on peut comparer la dérive au surfing sur Internet (Elias, 822). La structure de l’espace virtuel d’Internet reflète celle d’une ville urbaine, où se trouvent ordonnés rues et ruelles, grands boulevards et avenues, quartiers privés et secteurs publics. De même trouve-t-on des sites pour se réunir en public ou pour se retrouver en cachette, pour voir et se faire voir ou pour participer sous le sceau de l’anonymat.
Les sites et les liens nous guident à travers la topographie virtuelle tel un plan de ville. L’internaute flâne de site en site, empruntant des chemins connus et inconnus d’une manière analogue à la dérive traditionnelle. La dérive dans le temps de Debord était plus efficace parce que les grandes villes changent plus lentement qu’Internet. L’expérience de flâner dans une ville comme Paris ne partage pas le risque de la consommation ennuyeuse de média et d’images, et Internet, qui fait de plus en plus partie du spectacle, fourni un million de distractions qui peuvent être contraires à la nature de la dérive. Surfer sur Internet diffère de la dérive parce que dans ce cas la qualité éphémère est perdue : ce qui semble provisoire est vraiment fixé (Elias, 822).x Le détournement, un concept qui s'inspire des artistes Dadaïstes, est le second moyen d’engendrer ces « situations ». Le détournement est le recyclage des médias existant dans un nouveau contexte. Un exemple du détournement est l’œuvre d’art de Marcel Duchamps qu’il nomma « La Fontaine ». Il prit un urinoir, le tourna sur un côté et lui donna un titre. Bien qu’elle fut créée quelques décennies avant l’arrivée des Situationnistes, l'œuvre Dadaïste intitulée la Fontaine exemplifie le détournement. Les exemples plus modernes du détournement peuvent être trouvés dans certains mèmes (particulièrement ceux qui se focalisent sur les politiques), soit les artistes urbains (à travers le graffiti), et les artistes qui utilisent les médias numériques pour changer le contexte des images familières. Le détournement est un moyen frivole de lutter contre le spectacle en nous engageant à participer à une contemplation active du quotidien.
Ces deux méthodes, particulièrement le détournement, sont efficaces si l’on veut opposer le spectacle interactif, mais il est aussi important d’être conscient du spectacle en premier. Même si Debord était le premier à définir le spectacle clairement dans ses propres mots, le spectacle- même n’est pas une notion nouvelle. Depuis l’arrivé du capitalisme, les critiques du spectacle ont existé, même s’ils n’avaient pas de terme pour l’objet de leurs critiques. Les descriptions des grands magasins à Paris du 19ème siècle dans Au Bonheur de Dames par Émile Zola est aussi une description du spectacle. Une écrivaine contemporaine de Debord, Marguerite Duras, décrit le spectacle sans le nommer dans son roman L’Amant.
De temps en temps ma mère décrète : demain on va chez le photographe. Elle se plaint du prix mais elle fait quand même les frais des photos de famille. Les photos, on les regarde, on ne se regarde pas mais on regard les photographies, chacun séparément, sans un mot commentaire, mais on les regarde, on se voit. On voit les autres membres de la famille un par un ou rassemblés. On se revoit quand on était très petit sur les anciennes photos et on se regarde sur les photos récentes. La séparation a encore grandi entre nous. (115).
Duras décrit dans cet extrait un phénomène où le paraître est plus important que l’être. La séparation qui croît entre les membres de la famille est un résultat du spectacle. Comme Barthes, la narratrice de cette histoire ressent les effets de l’aliénation et de la séparation propre au spectacle. La mère de la narratrice préfère sa famille représentée dans ces photos à sa famille réelle. La phrase « on ne se regarde pas, mais on regarde les photographies, chacun séparément » indique la présence spectaculaire, puisque les membres de cette famille ne communiquent plus ensemble. Leurs vies sont représentées et médiatisées par les images ; la mère a figé sa famille idéale dans les photographies lorsque sa vraie famille se désagrège. Le spectacle se retrouve souvent dans la fiction parce qu’il est une entité presque inséparable de la société moderne. Si l’on veut faire décrire la société ou la culture en général le spectacle ne peut être évité.
Cette représentation fictive du spectacle est répandue dans les œuvres de niveaux différents, et les adaptations les plus récentes peuvent être extrêmes. On le voit dans les romans de science-fiction (d’Orwell, ou Huxley, ou Bradbury, et cetera) qui se concernent d’un avenir dystopique, ou les films comme Blade Runner (1982) de même genre. Une nouvelle série très récente de Netflix, Black Mirror, examine les effets adverses de notre assimilation de la technologie. Le monde de la série est un avenir proche avec une technologie raisonnement plausible. Chaque épisode de la série est indépendant et les histoires de chacun proposent une situation différente qui démontre les risques d’une société qui assimile la technologie. La plupart des épisodes démontrent une situation catastrophique pour un individu ou une grande partie de la population. Le premier épisode de la troisième saison, « Nosedive, » se passe dans un monde où tout le monde est constamment évalué contre ses semblables en utilisant un appareil comme un « smartphone. » Le statut social de chaque personne dépend de sa classification qui peut être entre une et cinq étoiles. La société donne préférence aux membres qui sont classés plus haut (cinq étoiles). Tout le monde se comporte dans une manière très inauthentique pour se faire bien voir par autrui : ils sont extrêmement gentils, ils n’insultent personne, et ils essaient de recevoir cinq étoiles de chaque personne qu’ils rencontrent. C’est vraiment un monde où les règles des réseaux sociaux sont appliquées à la vie réelle et la perception des autres a des conséquences graves.
L’histoire de l’épisode suit une jeune femme, Lacie, qui veut augmenter sa classification afin qu’elle puisse habiter dans la maison de ses rêves. Après une série d’évènements malchanceux, son statut tombe de 4,2 à 2,6 étoiles. À la fin de l’épisode elle perd sa façade acceptable et elle commence à agir comme elle veut. Elle est mise en prison où elle fait la connaissance de l’homme qui occupe la cellule en face d’elle. L’épisode s’achève sur une scène où les deux prisonniers s’insultent à qui mieux mieux. Cette histoire nous avertit du danger et aussi de la puissance de la perception des autres, particulièrement dans le contexte des réseaux sociaux. Il n’est pas difficile d’imaginer que dans notre monde, dans quelques années, ceux qui sont populaire sur les plateformes sociales seront mieux soigné que les autres. Dans un autre épisode de la même saison, « Hated in the Nation, » un tueur en série laisse le public choisir sa prochaine victime. À la fin de chaque jour, il tue à distance la personne la moins populaire du monde. Ceci est décidé par les masses en utilisant le hashtag #DeathTo, où les gens sont invités à indiquer leur choix de victime en affichant son nom et son image dans leurs commentaires, sur réseaux sociaux ou sites journalistiques. Dans l’épisode, une inspectrice découvre l’identité du tueur, mais avant qu’elle ne puisse l’appréhender, il tue toutes les personnes qui ont employé le hashtag. Des milliers de personnes meurent en quelques heures et le monde des survivants en est bouleversé. Cette histoire est une autre mise-en-garde puisque c’est le public même qui choisit les victimes, est ce faisant, devient complice du meurtre. L’histoire présente un cas extrême du spectacle intégré, mais la haine répandue sur Internet peut avoir des conséquences énormément sérieuses. Ces deux épisodes se focalisent sur les problèmes d’une société spectaculaire où les individus sont tellement séparés qu’ils ne se reconnaissent pas. Les individus dans le monde de « Nosedive » sont réduits à un chiffre qui est défini par les opinions des autres, et la situation de « Hated in the Nation » est similaire : si l’on est assez détesté on peut être tué. Les épisodes sont des exemples de sociétés spectaculaires qui ont atteint un niveau dangereux au niveau de la technologie et de la communication en masse. Chaque épisode présente une situation où un aspect de notre société qui existe déjà est augmenté à un niveau problématique et les spectateurs sont confrontés avec des avenirs possibles. Comme la série est réalisée en tant que produit pour la consommation publique, elle ne peut éviter d’être elle-même intrinsèquement spectaculaire, mais en la regardant on devient plus conscient du péril du spectacle. Black Mirror est un exemple de notre conscience du spectacle présentée dans un média spectaculaire. La série est assez vraisemblable et assez choquante pour ces spectateurs peuvent être assez émus pour se dégourdir et lutter contre le spectacle. Même le titre de la série nous met en garde contre nos petits appareils portables : Black Mirror indique l’écran, et nous rappelle que notre usage de la technologie est un reflet de nous-mêmes.
Les explorations critiques de la technologie et le spectacle-même sont un signe d’espérance pour notre culture. La fascination avec les conséquences d’une société spectaculaire et la représentation de cela dans ces œuvres veulent dire que certains créateurs montrent le spectacle en termes plus concrets. Ainsi une plus grande partie de la population peut devenir conscient du spectacle. Ces œuvres créatives montre non seulement la reconnaissance du spectacle, mais le désir d’effectuer un changement. Dans sa thèse 203 Debord dit : Pour détruire effectivement la société du spectacle, il faut des hommes mettant en action une force pratique. La théorie critique du spectacle n'est vraie qu'en s'unifiant au courant pratique de la négation dans la société, et cette négation, la reprise de la lutte de classe révolutionnaire, deviendra consciente d'elle-même en développant la critique du spectacle, qui est la théorie de ses conditions réelles, des conditions pratiques de l'oppression actuelle, et dévoile inversement le secret de ce qu'elle peut être. (195)
Toutes ces représentations créatives et critiques peuvent être considérées à la fois la théorie critique du spectacle et aussi la force pratique. Être conscient d’un problème est la première étape pour l’améliorer, et les œuvres comme Black Mirror répandent la conscience dans un moyen très accessible au public. Ceci est une circonstance quasiment paradoxale puisque le spectacle (ou tout au moins les médias spectaculaires) est l’arme utilisé pour sa propre désagrégation. La popularité de ce genre de la fiction indique que le spectacle a été déjà dévoilé, mais le niveau de l’intégration du spectacle dans notre temps contemporain le rend plus difficile à éliminer. Si l’on veut détruire le spectacle interactif, les instructions de Debord sont un bon début mais la tâche sera plus compliquée et il faut trouver des nouveaux moyens pour lutter contre lui. Le spectacle ne peut être facilement évité dans notre monde technologique, mais si l’on est conscient des effets et des dangers d’une société spectaculaire il est possible de l’affaiblir. Il est trop facile de consommer les médias d’une façon passive et insensible, il est vraiment difficile de ne pas devenir une marchandise quand nous nous mettons sur les réseaux sociaux, mais si nous maintenons un engagement actif nous pouvons lutter contre l’aliénation. La technologie, même Internet et les technologies portables, n’est pas un ennemi en soi, mais il faut l’utiliser avec une intention claire et il ne faut surtout pas perdre notre authenticité personnelle. Il faut peut-être redéfinir ce que l’authenticité et l’histoire veulent dire pour les générations qui ne connaissent qu’un monde dans lequel Internet existe. Le spectacle et Internet sont liés, mais ils ne sont pas identiques. Il peut être difficile de séparer l’un de l’autre parce que d’une façon Internet dépend du spectacle, mais le spectacle précède Internet par quelques siècles. Séparer Internet du spectacle est difficile, mais si l’on est conscient quand on l’utilise les effets de la séparation et la consommation peuvent être atténués. Debord a raison quand il remarque que le peuple a perdu son lien à l’histoire. Si nous voulons éviter un avenir comme les mondes de Black Mirror il faut que nous communiquions ensemble en personne avec intégrité et une intention authentique. Au lieu de nous transformer en marchandises pour être consommé de nos semblables, nous pouvons vivre vraiment dans le moment présent. Au lieu d’enregistrer un concert, ou de prendre photos des œuvres dans les musées, nous pouvons nous déconnecter de la technologie pour quelques moments pour vraiment ressentir notre vie. Notre version du spectacle, le spectacle interactif, est plus difficile à combattre puisque l’intégration est plus forte que dans les époques précédentes. Internet, les technologies portables, les réseaux sociaux, et toutes les autres avances récentes qui soutiennent le spectacle peuvent être employés dans une façon non-spectaculaire : les réseaux sociaux sont utiles pour organiser les « situations » dans le monde réel et Internet peut être un instrument puissant pour chercher l’information de n’importe quel sujet. Il ne faut pas que les écrans soient les miroirs noirs. Il faut que nous soyons plus conscients de nos interactions technologiques.
Le monde possède déjà le rêve d'un temps dont il doit maintenant posséder la conscience pour le vivre réellement.
Guy Debord, 1967
Notes
i Mème: une idée transmise dans la culture, un « gène culturel. »
ii Décrit par Best et Kellner dans « Debord, Cybersituations, and the Interactive Spectacle. »
iii Thèse 30: Le travailleur ne se produit pas lui-même, il produit une puissance indépendante.
Le succès de cette production, son abondance, revient vers le producteur comme abondance de la
dépossession. Tout le temps et l’espace de son monde lui deviennent étrangers avec
l’accumulation de ses produits aliénés. Le spectacle est la carte de ce nouveau monde, carte qui
recouvre exactement son territoire. Les forces-mêmes qui nous ont échappé se montrent à nous
dans toute leur puissance.
iv Selon statista, les utilisateurs de certains sites sociaux ont augmenté depuis leurs débuts:
Facebook 100 million en 2008 à 2006 million en 2017; Twitter 30 million en 2010 à 328 million
en 2017; Instagram 90 million en 2013 à 800 million en 2017
v Facebook: une plateforme sociale où on peut partager les photos, les pensées dans la forme
de « status updates, » les articles et vidéos auxquels on s’intéresse, et se connecter avec des amis
partout. Twitter : une plateforme où on peut partager ses pensées dans la forme de petits
messages publics de 140 caractères ou moins. Instagram : un logiciel pour les portables où on
peut partager des photos accompagnées de légendes. Snapchat : un logiciel où on peut envoyer
les photos pour une durée limitée après laquelle l’image disparaît.
vi Citation originale : « One may argue that in the new media economy, the self commodified
relentlessly through a process of on non-stop capture facilitated through the convergence of
mobile telephony, imaging and publishing technologies loses what Benjamin (1995) terms as
‘aura.’ » (Ibrahim, 104-105)
41
vii Citation originale : The success of reality based television may be a reflection of the
modernists’ nostalgia for authenticity among the class of consumers to whom it is most
rigorously denied.
viii Citation originale : We believe this association between daydreaming, imagination, and
pleasure speaks to Campbell’s (1987, 90) argument that “in modern hedonism pleasure is not
simple a quality of experience, but a self-illusory quality of experience. Increasingly pleasure is a
commodity associated with experiences which we have had a hand in constructing; something
which we have “tailored” to suit our own needs.” (Rose et Wood, 289)
ix “In a dérive one or more persons during a certain period drop their usual motives for
movement and action, their relations, their work and leisure activities, and let themselves be
drawn by the attractions of the terrain and the encounters they find there. The element of chance
is less determinant than one might think: from the dérive point of view cities have a
psychogeographical relief, with constant currents, fixed points and vortexes which strongly
discourage entry into or exit from certain zones.” (Cité dans Elias, 822)
Détournement: “the reuse of artistic elements in a new ensemble” (Cité dans Elias, 824)
x
“The ephemerality that constitutes the political efficacy of the situation as definied by the
SI, moreover, is illusory on the web: what “feels” ephemeral to someone surfing through sites is
actually a passage through sometimes permanent, always preconstructed, and maintained
databases and uploaded files”
Œuvres citées
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Debord, Guy. La Société du spectacle. Paris: Gallimard, 1992. Print.
42
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